STEEVE YONDZI PRESIDENT DU CERCLE DE REFLEXION AFRIQUE DIGNITE, nous a accordé une interview dans laquelle il évoque avec nous diverses questions relatives au développement de l’Afrique.
Gabon-Infos : Bonjour M. Steeve Yondzi. Depuis quelques temps, vous faites plusieurs publications dans le cadre du C.R.A.D dont vous êtes le Président. Qu’est-ce que le CRAD ?
S.Y : Bonjour M. Franck Charly Mandoukou. Avant de répondre à votre question, je voudrais m’acquitter d’un devoir, celui de remercier votre journal en ligne qui a pris le risque de publier certains de mes articles. Vous savez lorsqu’un journal prend la peine de publier les écrits d’une personne sur des sujets donnés, c’est toujours un risque qu’il prend. Risque de perdre en audience ou d’être recadré voir suspendu par les organes de régulation de votre profession.
Pour revenir à votre question, le C.R.A.D c’est le Cercle de Réflexion Afrique Dignité. Ce cercle de réflexion a été rendu public, le 19 février 2022 avec la publication d’un article sur le Régime de la 5è République française chez un de votre confrère, Gabon Mail Info, pour ne pas le citer.
J’ai dû rendre public parce que depuis près de dix ans je mène, seul ou avec certaines personnes, des réflexions sur des sujets diverses qui embrassent des domaines variés, séculier comme religieux. Aussi, sur la base de ce travail je me suis dit qu’il fallait que je partage mes réflexions en créant un cadre intitulé Cercle de Réflexion Afrique Dignité. Il a pour objectif de traiter des sujets diverses de la vie publique internationale comme nationale, au besoin.
G.I : Afrique dignité, avez-vous le sentiment que l’Afrique a perdu sa dignité ?
S.Y : Non, je n’ai pas le sentiment. Je constate simplement que face à un narratif occidental sur un plan politique et dont le but reste d’humilier les leaders politiques africains ou l’africain tout court, on n’a pas souvent opposé une réponse appropriée.
Comment comprendre qu’un journaliste puisse dire que les gabonais, donc africains, ont la fraude dans les gènes ? Comment peut-on accepter qu’un Chef d’Etat français puisse s’ériger en donneur de leçons aux africains quand lui-même est pire que ce qu’il entend dénoncer chez nous et parfois à tort ; personne ne lui oppose la réponse qui sied à cet instant.
Comment comprendre que l’occident veuille nous imposer des valeurs aux antipodes des nôtres, alors que dans le même temps, elle censure chez elle la polygamie ?
Ce comportement d’infantilisation, de paternaliste écorne la dignité de l’Afrique. Donc, je n’ai pas le sentiment. Avoir le sentiment nous renvoie à l’idée d’une impression. Il ne s’agit pas d’impression mais du vécu, c’est factuel. On veut que les africains se couchent comme des chiens caniches devant l’occident. Cela est inadmissible.
G.I : En lisant certains de vos articles, il ressort que vous avez une plume très lourde à l’égard de la France. Etes-vous un anti France ?
S.Y : Rire. Non, je ne suis pas un anti France.
- I : votre plume semble dire le contraire.
Mandoukou, en 1936 trois (3) noirs (Senghor, Damas et Césaire) créent un mouvement littéraire appelé la Négritude. Ce mouvement avait pour but d’affirmer, face à l’occident et la France en particulier, l’existence de l’homme noire en tant que Personne. Et à ce sujet, Jean Paul Sartre a défini la négritude par une formule éloquente : « la négation de la négation de l’homme noir ». On ne pouvait dire mieux. Au regard de l’objectif, ce mouvement n’était pas dirigé contre la France si non Sartre n’aurait pas donné cette définition.
La négritude était plutôt une réponse à une idéologie savamment entretenue par une certaine élite française héritière d’une philosophie abjecte selon laquelle l’homme noir n’a pas d’âme. Cette idéologie inculquée aux français les a emmené à considérer le noir comme un non être, en fait un sous homme. L’illustration de cette abjection est contenue dans le code noir rédigé par Jean Baptiste Colbert et publié en 1685 par Louis XIV.
Lutter pour démontrer par des écrits que l’homme noir n’est pas un sous homme ne relevait nullement de l’anti France mais plutôt de l’affirmation d’une culture donc d’une existence dans le concert des nations en tant que être doué de raison. D’ailleurs les éminents membres de ce mouvement furent tous français et vivaient en France.
En 1958, quand Sékou Touré et la Guinée ont dit non au général de Gaulle, ils ne manifestent pas là un sentiment anti France mais plutôt une volonté à disposer d’eux-mêmes telle que cela est décrit par l’article 3 de la charte de l’atlantique et repris dans la charte de l’ONU. Ils posent un problème idéologique assis sur les droits de l’homme : indépendance et liberté. L’exprimer et le revendiquer ce n’est pas être contre la France, c’est revendiquer ce qu’il y a de plus important chez l’homme, la dignité.
C’est au nom de cette même dignité que le peuple français à fait la révolution, que de Gaulle a lancé l’appel du 18 juin 1940 depuis Londres. A-t-on, pour autant, dit que de Gaulle est anti- Allemagne ? Je ne le pense pas car il luttait là pour un droit naturel intrinsèquement lié à la Personne. Et Emmanuel Kant dit de la Personne qu’elle est une valeur absolue. Je ne suis donc pas contre la France.
Regardez, je réponds à vos questions dans une langue qui n’est pas d’essence bantu. Si j’étais contre la France, je n’utiliserai pas cette langue. On veut me faire apparaitre comme quelqu’un qui est contre la France parce que j’ai commis deux (2) articles qui parlent respectivement du régime politique de la 5ème République et de la fraude électorale en Afrique cautionnée et maternée par la France. Si c’est à cause de cette dénonciation que je suis contre la , alors que dira-t-on des français qui, dans leurs écrits, dénoncent avec véhémence les dérives de la politique française en Afrique?
Je voudrais vous faire une confidence. Je suis épris d’amour pour la littérature française du 16, 17, et 18è siècle et par la music française des années 60 -70.
Lire des textes comme sonnet pour Hélène de Pierre Ronsard, les Antiquités de Rome de Joachim Dubalay. Commercer avec Molière dans les femmes savantes, Corneille dans le Cid ou Racine dans Phèdre, passer en revue Lagarde et Michard, est un régal inouï.
Ecouter Richard Anthony, Mike Brant, Michel Sardou, Joe Dassin, Johnny Halliday… procure du plaisir.
Suivre les débats politiques entre Valérie Giscard d’Estaing et Mitterrand, entre Mitterrand et Chirac, regarder le tribun Georges Marchais ou lire le discours de Bayeux ou d’Épinal de Gaulle, ne peut pas vous conduire à être contre la France mais plutôt à élever son sens de la dignité.
G.I : Pourquoi avez-vous fait ces deux sorties à Gabon Mail Infos avec les deux articles auxquels vous avez fait allusion plus haut ?
S.Y : Pour deux raisons essentiellement. La première est que j’ai été choqué par les propos tenues par les autorités françaises et notamment Emmanuel Macron qui a dit aux maliens que les institutions maliennes étaient filles de deux coups d’Etat. Il l’a dit pour dénigrer les autorités maliennes. Et pour apporter une réponse à Macron et à ses ministres jean Yves le Drian et Florence Parly. Cette réponse consistait à leur rappeler que les institutions de la 5è République française étaient également fille de de deux coups d’Etat en France. Celui de Nicolas Bonaparte et du général de Gaulle. Le dire ce n’est pas être contre la France mais lui demander de savoir raison gardée.
La deuxième raison consistait à démontrer, au sujet des fraudes électorales, que c’est elle, la France qui était à l’origine des fraudes électorales en Afrique. Elle a introduit ce programme depuis la coloniale. Ainsi, elle ne peut se permettre de donner des leçons sur ce qu’elle a conçu, inculqué au sujet et continue de concevoir dans son intérêt bienveillant. Les exemples en la matière sont légion et connu des élites africaines donc point n’est besoin de s’étendre.
Ce qui crée et nourrit un sentiment anti politique française ce sont les prises de position intempestives ainsi que les déclarations qui sont affirmées par les autorités françaises au nom des pseudos principes en contradiction avec les aspirations profondes et légitimes des africains. C’est le cas au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Dans le même sens, les évènements du 30 aout dernier, ont donné à nouveau à la France l’occasion d’afficher une position un peu en contradiction avec le ressenti profond du peuple gabonais ; certes qu’elle n’était pas aussi radicale que celles qu’elles ont affiché dans le cas du Mali du Burkina et du Niger.
G.I : Le 30 août dernier, l’armée gabonaise est effectivement sortie de ses casernes pour prendre le pouvoir. Quel est votre avis au sujet de cette prise de pouvoir par le CTRI ?
S.Y : Par principe, les coups d’état dans un République sont toujours des actes à condamner car l’Etat a mis en place des mécanismes dynamiques de dévolution du pouvoir, ceci afin d’éviter l’anarchie, le chaos. Le coup d’Etat relève de la force des baïonnettes. Jean Jacques Rousseau disait au sujet de la force : « Le plus fort n’est jamais assez fort s’il ne transforme la force en droit et l’obéissance en devoir ».
Mais cela dit, la situation intervenue le 30 aout dernier n’est pas, à mon sens, condamnable. L’armée Gabonaise doit plutôt être félicitée et on doit lui rendre un hommage très appuyé pour trois raisons essentielles.
La première est qu’elle nous a fait éviter une déflagration certaine à notre pays. Un esprit d’animosité s’était déjà cristallisé dans les deux camps. Les uns voulaient, à tout prix, arriver au pouvoir. Les autres, détenant les moyens du pouvoir, voulaient coûte que coûte y demeurer. Une telle opposition aurait occasionné des pertes en vie humaines importantes sans parler des dégâts matériels.
La deuxième raison est que l’armée a sauvé le pays d’une « feymania », d’une pègre qui s’était installée au sommet de l’Etat profitant de de la maladie du Président de la République.
Vous êtes témoins de la manière dont l’Etat était gérée. C’était hallucinant ! Des étrangers avaient pignon sur les postes stratégiques du pays au mépris des dispositions de l’article 10 de la constitution. L’incompétence était devenue la norme.
En somme nous étions dans une sorte de capharnaüm. Et cela n’était que normal vu que les principaux acteurs de ce régime étaient des dealers de drogue. Peut-on être dealer sans être drogué ? Je n’en suis pas certain. Quel Pays peut-on construire avec des drogués, des cleptomanes à sa tête ? Il fallait mettre un terme à cette ubuesque scène de théâtre. Au stade où ils étaient parvenus, seule l’armée était capable de mettre un terme à cette forfaiture et cela a été fait. Il faut que le peuple gabonais soit fier de son armée. Maintenant, il va falloir remettre de l’ordre dans un pays en agonie et lui redonner de la vitalité, de la dignité car le Gabon avait déjà perdu toute dignité.
G.I : Comment jugez-vous l’action du CTRI depuis sa prise de sa prise de pouvoir à aujourd’hui ?
S.Y : Au regard du temps il est difficile d’émettre un quelconque jugement de valeur sur l’action de ce Comité de Transition et de Restauration des Institutions. On peut simplement dire que les premiers pas de la marche du CTRI sont globalement positifs. Ils ont mis en place un gouvernement. Les autres institutions sont en train d’être mises en place, donc attendons. Nous savons que la tâche est rude mais cette dernière ne saurait se comparer au mythe de Sisyphe.
Le général Brice Clotaire Oligui Nguema et l’ensemble de son équipe jouissent d’une confiance énorme de la part du peuple. Cette dernière, chrétienne à plus de 90%, est bien contente d’avoir vu les militaires commencer leurs réunions par la prière et confier le pays entre les mains de Dieu.
Les militaires sont donc appelé à réussir car celui qui se confie en Dieu ne peut en aucun cas échouer. Cependant, ils doivent comprendre une seule chose ce que: « la fin d’une chose vaut mieux que son commencement. » Ecclésiaste 7 :8. Je pense qu’ils vont travailler dans ce sens afin que la fin de la transition soit couronnée de succès.
G.I : Selon vous que dois faire le CTRI pour que le pays redémarre ?
S.Y : Qui suis-je moi pour conseiller le CTRI et le Gouvernement ? Non, je pense que ces militaires ont une vision claire pour le pays. Déjà, ils ont dit qu’ils vont restaurer les Institutions, c’est un point de départ important ; c’est la matrice de tout développement d’un Etat.
Mais seulement, il ne faut pas que les Institutions soient limitées à celles qu’entrevoient les juristes. Il faut aller plus loin que cette idée classique des institutions vue sous l’angle juridique. Il faut aussi entrevoir les institutions sous l’angle vu par le professeur North Douglass, économiste institutionnaliste.
Pour lui, un contrat que signe une entreprise avec un Etat est tout aussi une Institution comme l’est le parlement, le gouvernement. Car ce contrat gouverne les relations entre cette entreprise et l’Etat. De ce fait, il crée une règle de jeu. Or, la règle de jeu doit-être débarrassée de toute tricherie. Ainsi, si la restauration des institutions a pour vocation de créer un cadre démocratique de développement du pays, on ne saurait atteindre cet idéal de développement si on ne restaure pas cet autre pan des institutions. D’ailleurs, cela fait soixante-trois ans que nous sommes dit indépendants, avez-vous le sentiment d’être développé ? Rire, je ne le pense pas.
A côté de cela, le social, la santé, les routes, l’eau, l’électricité, le logement, l’école, les universités, le chômage et l’insécurité sont aussi des chantiers que la Transition doit mettre sur les rampes de lancement. Cela aura pour effet, de rendre la dignité à ce peuple gabonais.
Au-delà des institutions auxquels nous venons de faire allusion, il y a une autre l’Institution qui constitue le socle de pérennité d’une nation, de sa culture, de son anthropologie. Cette institution, c’est le mariage. Elle doit être renforcée dans son essence et suivant nos us et coutumes. Il faut l’éloigner des oripeaux que l’on a commencé à vouloir introduire dans notre ordonnancement juridique. A la vérité, il faut s’attaquer aux mœurs importées, contraires à notre civilisation bantu, donc africaine.
G.I : On observe que le CTRI procède à des arrestations, ne craignez-vous de voir s’installer une chasse aux sorcières ?
S.Y : Rire. Vous parlez de chasse aux sorcières, c’est le signe que ces sorcières existent, elles sont, à tout le moins identifiées puisque nous vivons en république. Mais que dit notre hymne national au sujet des sorciers ? On doit les garder ou les chasser ? La bible en Exode 22 :19 ne recommande-t-elle pas de mettre les sorciers hors d’état de nuire ?
Non, il ne faut pas penser ainsi, au regard de tout le mal que ce régime à fait connaitre au peuple gabonais qui malgré les énormes potentialités que regorge le pays, vit misérablement du fait de ces gens-là. Savez combien des gens sont décédés parce que la CNMGS ne pouvait pas les prendre en charge ? Combien de gens n’ont pas l’eau ni l’électricité parce que les ressources de la SEEG étaient distraites à souhait par une bande des drogués incompétents. Je peux multiplier les exemples dans le cadre scolaire universitaire, dans le cadre des infrastructures.
Non, je ne pense pas que ce soit là une chasse aux sorcières et si c’est le cas, alors qu’on applique l’hymne national, symbole de l’Etat. S’il est vrai que les arrestations auxquelles on assiste ne sont pas toujours revêtues du sceau de la procédure pénale en vigueur, il faut avoir l’honnêteté de comprendre que nous sommes en situation exceptionnelle, et que des régularisations conformes au droit seront apportées par la suite.
Je pense, sur la question, que le CTRI et le gouvernement doivent aller plus loin en possédant ces détourneurs de fonds des biens qu’ils se sont procurés à partir de l’argent public. Que le gouvernement lance des poursuites internationales à l’égard de ceux-là qui se sont rendus coupables de tels crimes financiers. Il faut que tous soient poursuivis.
G.I : A qui faites-vous allusion ?
S.Y : Rire. Mais évidemment à tous ceux qui se sont rendus coupables des faits de détournement de fonds publics et qui du jour au lendemain sont devenus insolemment riches, propriétaires d’immeubles de grandes envergures que l’on fait louer à l’Etat. Ils ne sont ni Agriculteurs, ni industriels. C’est aussi à ces entreprises qui ont désormais pignon sur rue au Gabon que je fais allusions. Elles sont propriétaires de nombreuses filiales et tiennent des pans entiers de l’économie gabonaise. Certaines d’entre elles n’ont investie aucun kopeck propre à eux au Gabon mais ont dû user de mécanismes financiers peu orthodoxes pour se retrouver là où elles sont avec des avantages fiscaux mirobolants. Tous les biens qu’ils ont acquis par cette contorsion de la loi, y compris les entreprises, doivent être réquisitionnés par l’Etat et faire partie de son patrimoine.
G.I : Votre dernier mot
S.Y Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer au sujet de ce que j’ai écrit et de la situation en cours dans notre pays. Je vous remercie et je souhaite plein succès au CTRI pour un Gabon nouveau, prospère et rayonnant à tous les niveaux, dans le concert des nations. A votre journal, je formule le vœu d’un développement international.
Je vous remercie.