LA RESPONSABILITÉ CITOYENNE FACE AU DÉFI DE L’INSALUBRITÉ À LIBREVILLE

Les ruelles de Libreville racontent une histoire de contradiction. Dans cette capitale aux ambitions modernes, l’ombre persistante des déchets dessine une réalité bien plus complexe. Au cœur de cette problématique se trouve une question fondamentale : peut-on réellement parler d’échec des politiques publiques quand les principaux acteurs de la dégradation sont les citoyens eux-mêmes ?

 

 Le paradoxe de l’incivisme organisé

 

Il est 7 heures du matin au quartier Akébé. Les camions de ramassage viennent de passer, laissant derrière eux une rue momentanément propre. Trois heures plus tard, le même trottoir disparaît sous un amoncellement de sachets plastiques, d’épluchures et de cartons. Un ballet quotidien qui se répète inlassablement dans toute la capitale.

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« Je nettoie ce carrefour depuis cinq ans. Chaque matin, c’est comme si notre travail de la veille n’avait jamais existé, » confie un agent d’assainissement municipal depuis 2018. Son témoignage n’est pas isolé. Pour beaucoup d’observateurs, le problème n’est plus technique mais culturel.

 

Dans le quartier commercial de Louis, une commerçante qui tient une petite boutique depuis quinze ans le souligne. « Avant, on respectait notre environnement. Maintenant, c’est devenu normal de jeter par terre. Même des personnes éduquées le font sans honte, » déplore-t-elle en montrant du doigt les détritus qui s’accumulent devant son échoppe, malgré la présence d’une poubelle à moins de dix mètres.

 

  Une économie sociale du déchet

 

L’insalubrité à Libreville n’est pas qu’un problème environnemental – c’est aussi le symptôme d’une relation dysfonctionnelle entre les citoyens et leur espace public. Pour un anthropologue, cette situation relève d’une « déresponsabilisation collective » : « Nous observons un phénomène de dilution de la responsabilité. Chacun se dit que son petit déchet ne fera pas de différence, oubliant que des milliers de personnes pensent exactement la même chose. »

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Cette déresponsabilisation s’accompagne d’un transfert de culpabilité vers les autorités. « C’est plus facile d’accuser la mairie que de porter son déchet jusqu’à une poubelle, » explique-t-il. Pourtant, les chiffres sont éloquents : la municipalité de Libreville consacre près de 30% de son budget à la gestion des déchets, une proportion considérable qui pourrait être réduite si les comportements changeaient.

 

Quand les infrastructures ne suffisent plus

 

La municipalité, consciente du problème, a multiplié les initiatives. Installation de bacs à ordures, création de points d’apport volontaire, mise en place d’une brigade de surveillance… Ces efforts, bien que louables, se heurtent systématiquement au même obstacle : l’indifférence citoyenne.

 

« Nous avons placé plus de 200 nouveaux bacs à ordures l’année dernière. Un mois après, 40% étaient vandalisés ou détournés de leur usage, » révèle un cadre de la Direction de l’Assainissement qui préfère garder l’anonymat. « Certains riverains vont jusqu’à saboter les équipements qu’ils jugent trop proches de leur domicile, puis se plaignent de l’absence d’infrastructures. »

 

Une question de dignité collective

 

Certains intellectuels voient dans cette situation le reflet d’une crise plus profonde. « Quand une société accepte de vivre dans ses propres déchets, c’est qu’elle a perdu quelque chose d’essentiel dans sa relation à elle-même, » analyse-t-il. « La propreté d’une ville est d’abord une question de dignité collective. »

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Cette dignité semble aujourd’hui compromise par une spirale négative : plus la ville est sale, moins les citoyens se sentent responsables de sa propreté. Un cercle vicieux que certaines initiatives tentent pourtant de briser.

 

Vers une prise de conscience nécessaire

 

L’insalubrité à Libreville n’est pas une fatalité, mais sa résolution exige une révolution des mentalités. « Nous devons passer d’une culture de l’accusation à une culture de l’action, » insiste Claire Mintsa, activiste environnementale. « Chaque citoyen doit comprendre qu’il fait partie de la solution. »

 

Cette prise de conscience pourrait s’accompagner d’un système de sanctions plus dissuasif. Aujourd’hui, bien que des amendes existent théoriquement, leur application reste sporadique. « Sans conséquences visibles, certains comportements ne changeront jamais, » estime un magistrat spécialisé dans les questions environnementales.

 

L’avenir de Libreville se joue peut-être dans cette capacité à réconcilier les citoyens avec leur environnement urbain. Une réconciliation qui commence par un geste simple : porter son déchet jusqu’à la poubelle la plus proche. Un petit pas pour l’individu, un bond de géant pour la capitale gabonaise.

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