Dans une interview exclusive accordée à Gabon Info, Emmanuel MVE MBA, Président du Mouvement des Citoyens Volontaires pour la Liberté (MCVL) et du Collectif des Associations pour la Paix et la Prospérité Économique (CAPPE), revient sur la crise qui secoue le secteur syndical gabonais. Avec plus de trente ans d’expérience dans le syndicalisme, il apporte un éclairage sur les défis actuels, la trêve sociale et les attentes des travailleurs. Il aborde également la célébration du 30 août et la nécessité d’une commission de vérité et réconciliation pour les familles des victimes de 2009 et 2016, ainsi que celle de la catastrophe d’Esther Miracle.
Gabon Info : Monsieur Emmanuel MVE MBA, comment justifier la crise qui sévit dans le secteur syndical, malgré la trêve sociale actuellement prônée par les différents leaders syndicaux ?
Emmanuel MVE MBA : Écoutez, j’ai plus de trente ans d’expérience dans le monde syndical, depuis 1991. Le syndicalisme est une science, étudiée dans différentes écoles en Afrique et dans le monde. Malheureusement, au Gabon, nous vivons dans l’amateurisme. Chacun se lève un matin pour se proclamer leader syndical sans connaître les mécanismes de négociation. La trêve sociale est toujours de l’initiative de l’employeur, qu’il soit public ou privé. Il y a quelques mois, le chef de l’État avait reçu les partenaires sociaux et avait été offusqué par les demandes exorbitantes de certains syndicalistes. Il avait alors proposé de revisiter cette position pour privilégier l’intérêt national.
Je crois que nous en sommes encore à ce niveau. Le monde syndical est en ébullition, et cela n’honore pas notre métier. En tant que doyen dans ce secteur, j’appelle à la pondération. La trêve sociale doit venir de l’initiative du chef de l’État ou du gouvernement. Elle implique trois acteurs : l’employeur, les travailleurs et le patronat. Ce sont ces trois acteurs qui doivent s’asseoir autour d’une table pour discuter des mécanismes d’amélioration des conditions de travail et de vie des salariés, aboutissant à la signature d’un protocole d’accord.
Gabon Info : Ne peut-on pas dire que vos camarades syndicalistes sont des alliés du pouvoir plutôt que des partenaires sociaux ? Ils semblent chanter les louanges du pouvoir et travailler pour ses intérêts, alors qu’ils devraient être des partenaires sociaux, discutant des revendications des travailleurs avec l’employeur.
Emmanuel MVE MBA : Écoutez, sur d’autres cieux, les organisations syndicales s’alignent parfois avec le gouvernement, parfois contre. Le cas de la CGT en France en est un exemple. Au Gabon, nous avons un syndicalisme presque malade. Beaucoup n’ont jamais étudié le syndicalisme et pensent que c’est un moyen de s’enrichir. Le syndicalisme, c’est défendre les intérêts moraux et matériels des travailleurs.
Nous avons un jeune pouvoir aujourd’hui qui souhaite proposer des changements au peuple gabonais. Ce pouvoir veut travailler avec certains acteurs syndicaux. Ma mission est de conseiller le pouvoir à réunir tous les partenaires pour travailler ensemble. Nous avons connu un pouvoir pendant 56 ans qui divisait pour mieux régner. Nous ne voulons plus retomber dans ce méandre. J’interpelle le chef de l’État afin que tous les partenaires soient à ses côtés pour travailler pour l’économie gabonaise. Si nous sommes divisés, cela créera de la frustration, ce qui n’est pas bon pour le CTRI et le chef de l’État. Nous sommes dans une période de transition, et j’ai bien peur que l’avenir soit tumultueux si nous n’arrivons pas à réunir les syndicalistes pour parler le même langage.
Gabon Info : Nous avons tous vécu la célébration du 30 août. La population gabonaise était réunie massivement ce jour-là devant l’esplanade de la mosquée Hassan II. Cet événement commémorait le jour de la libération. Quel sentiment partagez-vous face à cela ?
Emmanuel MVE MBA : Écoutez, un sentiment mitigé. J’ai été au front. Il y a deux catégories de soldats : ceux qui font dans la conception et ceux qui vont au front. Moi, Emmanuel MVE MBA, j’ai été au front. Depuis 1991, je lutte pour les intérêts des travailleurs gabonais. Je suis en charge de l’Afrique francophone depuis 10 ans. Faire du syndicalisme en Afrique et au Gabon, ce n’est pas chose facile. Le syndicalisme est souvent assimilé à l’opposition.
Célébrer la journée de la liberté est une bonne chose, et je félicite le chef de l’État pour cette initiative. Cependant, on aurait dû décorer les candidats qui ont lutté pour la libération de ce pays, quelles que soient leurs tendances. J’ai été candidat à la dernière élection présidentielle de 2023 et je suis sorti parmi les cinq premiers. On a décoré les religieux, les danseurs, les musiciens, les sportifs, les praticiens, les pédagogues, mais pas les anciens candidats qui voulaient le changement dans ce pays. C’est pour cette raison que j’ai trouvé cela mitigé. L’idée en elle-même est très bonne et loyale. Nous avons connu un pays confisqué de tous les droits, et aujourd’hui, ça commence à changer. Nous osons croire que d’ici la fin de la transition, le Gabon va véritablement changer.
Gabon Info :Lors de la catastrophe d’Esther Miracle, on a vu le précédent gouvernement mettre les moyens pour la réparation et dédommager les familles endeuillées. Mais les familles qui ont disparu du 30 août, qui jusqu’à aujourd’hui se plaignent de ce que le gouvernement ne jette pas un regard en leur faveur. Qu’en pensez-vous par rapport à cela ?
Emmanuel MVE MBA : Oui, le 30 août, je ne sais pas de quoi vous parlez. Le 30 août, est-ce qu’il y a eu des morts ? Ou bien vous parlez des précédentes élections de 2016 et même 2009 ? Je crois qu’à ce niveau-là, ces familles ont raison. Elles continuent à pleurer leurs parents. Moi, je vous prends l’exemple de mon propre neveu, un boulebocard que j’ai perdu à Rio. Jusqu’à ce jour, je ne sais pas ce que le gouvernement prévoit pour honorer sa mémoire.
C’est pour ça que je suis presque tenté d’accepter ce que les gens disent. Il faut, à un moment donné, s’asseoir pour une commission de vérité et réconciliation. Parce que ce ne sont pas des chiens qui sont morts, ce sont des hommes. On doit rouvrir le dossier, regarder, déterminer la responsabilité de chacun d’entre nous dans ces morts parce que ce pouvoir nous a fait trop de mal. Et je vous le dis, il n’y a pas que la mort physique ou encore les décès humains. Il y a aussi ce que nous appelons en syndicalisme le décès professionnel. Beaucoup ont perdu leurs emplois, beaucoup ont été marginalisés, exclus du processus de travail professionnel. Moi j’en fais une victime, je suis une victime de cette exclusion parce que depuis 2016, je suis marginalisé dans le monde du travail. Et ça aussi c’est une mort.
Nous disons, il faut une commission, une commission vérité et réconciliation afin que les Gabonais sortent de cette transition avec le sourire. Bien évidemment, ça ne va pas ramener nos parents. Mais, au moins, la situation morale sera de telle qu’au moins, la vérité aura été dite. C’est ce que nous attendons du CTRI aujourd’hui. Je crois que c’est un message que je lance au chef de l’État. Franchement, monsieur le Président, il est impérieux qu’une commission soit mise en place qui pourrait être composée du CTRI, des magistrats, de la société civile afin que l’on détermine les responsabilités de chacun dans ce que les Gabonais ont vécu de 2009 à ce jour.
Gabon Info : Merci, Monsieur Emmanuel MVE MBA, pour cette interview éclairante.
Emmanuel MVE MBA : Merci à vous.