Gabon : Le secteur de la pêche en quête d’une transformation ambitieuse

C’est dans une salle de l’hôtel Radisson Blu, vibrante d’ambition et d’échanges, que s’est tenu ce mardi 25 mars 2025 le séminaire sur les Métiers de la pêche, placé sous l’égide du Premier ministre Raymonde Ndong Sima. Organisé par le ministre de la Mer et de la Pêche, Zora Kassa, l’événement a réuni acteurs institutionnels, experts internationaux, entrepreneurs et élèves librevilois, tous animés par une même conviction : le Gabon doit saisir l’immense potentiel de son économie bleue.  

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Un capital naturel sous-exploité

 

Avec une Zone Économique Exclusive (ZEE) de 200 000 km², 800 km de littoral atlantique et un réseau hydrographique de 10 000 km², le Gabon dispose d’atouts qui feraient pâlir d’envie bien des nations côtières. Pourtant, comme l’a rappelé M. Athman Mravili, représentant de la FAO, ce potentiel reste largement inexploité. « Le pays a un capital naturel renouvelable exceptionnel », a-t-il souligné, évoquant des opportunités dans la pêche, l’aquaculture, les biotechnologies marines et l’écotourisme.

 

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Un constat partagé par le Dr François Edgard Faure, chercheur au CENAREST, qui a rappelé que le Gabon, avec une consommation annuelle de 35 à 40 kg de poisson par habitant (presque le double de la moyenne africaine) “est l’un des plus grands consommateurs mondiaux ». Paradoxalement, le secteur ne contribue qu’à 2,75 % du PIB national. « Dans dix ou quinze ans, nous pourrions passer à 15 % », a-t-il espéré, appelant à une « appropriation culturelle et économique » des ressources aquatiques.

 

Une industrie en mutation : l’exemple de Gabon Seafood

 

Parmi les signaux forts de cette transformation, la relance de l’usine Gabon Seafood par IB FISH, dirigée par Ismaël Boungoungou, illustre la volonté de “reprendre le contrôle » d’une filière dominée par des armateurs étrangers. “Notre objectif est clair : faire de cette usine un centre de transformation halieutique modèle, générant 300 à 400 emplois », a déclaré le dirigeant.

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Avec une nouvelle ligne de production capable de traiter 50 tonnes de thon par jour, le projet vise autant l’autosuffisance que la revalorisation de l’image du Gabon à l’international. « Il ne s’agit pas seulement de transformer du poisson, mais aussi de créer une économie locale qualifiée », a insisté Boungoungou. Une ambition soutenue par le gouvernement, qui prévoit le recrutement de 515 Gabonais dans cette structure.

 

Formation et souveraineté : les défis clés  

 

Le Premier ministre Raymonde Ndong Sima n’a pas mâché ses mots face aux lacunes du secteur : « 75 % des pêcheurs artisanaux au Gabon sont étrangers ». Un chiffre qui révèle un manque criant de formation et d’intérêt local pour ces métiers. « Ce n’est pas seulement quelqu’un qui pêche à la ligne. C’est maintenant quelqu’un qui gère un automate », a-t-il martelé, appelant les jeunes à se tourner vers des professions techniques (maintenance navale, transformation, logistique).

 

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Zora Kassa, ministre de la Pêche, a détaillé une feuille de route ambitieuse : création d’un Institut supérieur des métiers de la pêche, mise en place d’un fonds pour les jeunes entrepreneurs et déploiement de formations dans les neuf provinces. “Nous voulons couvrir tous les gouvernorats », a-t-elle affirmé, soulignant l’urgence de « faire de la pêche un levier stratégique contre le chômage ».

 

Surveillance et régulation : la bataille contre la pêche illégale 

 

Le Colonel Boupana, responsable du Centre de surveillance des pêches, a exposé les mécanismes de contrôle, notamment le Vessel Monitoring System (VMS), un outil satellitaire traquant les navires en temps réel. « L’activité pêche est réglementée, et chaque opérateur doit respecter sa zone », a-t-il insisté, rappelant l’impératif de protéger les écosystèmes sensibles comme les parcs marins.

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Un plaidoyer pour changer les mentalités 

 

Jean de Dieu MAPAGA, le président de la FEGAPA a lancé un vibrant appel aux jeunes : « Vous pouvez être ingénieur, ministre, et faire de la pêche ! »,  Un message fort pour casser les préjugés et montrer la diversité des métiers du secteur – de la construction navale à l’exportation.

 

Vers une révolution bleue ?

 

Ce séminaire a révélé une dynamique inédite : le Gabon a les ressources, les projets et – semble-t-il – la volonté politique pour faire de la pêche un pilier économique. Reste à concrétiser ces ambitions, notamment par :

– Une réforme du Code des pêches (toujours basé sur des textes de 2005),

– Une montée en compétences des Gabonais,

– Et une meilleure application des lois.

 

Si ces défis sont relevés, le pays pourrait bien devenir un modèle africain d’économie bleue durable. Affaire à suivre.

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La tenue de ce séminaire marque un tournant dans la reconnaissance officielle du potentiel halieutique gabonais. Cependant, comme souvent en Afrique, l’écueil ne sera pas les discours, mais l’exécution. Les annonces sur Gabon Seafood et l’institut des métiers sont prometteuses, mais leur succès dépendra de la coordination entre public et privé – et d’une lutte acharnée contre la pêche illicite, qui grève encore les ressources. Enfin, l’accent mis sur la jeunesse est judicieux : sans main-d’œuvre qualifiée et fière de ces métiers, aucune transformation n’est possible.

 

 

Par Jimmy MANDOUKOU, journaliste, maître en anthropologie.

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