Une conférence-débat organisée vendredi dernier à l’Hôtel Boulevard d’Acae a révélé les paradoxes et les espoirs d’une génération de femmes politiques déterminées à transformer le paysage électoral gabonais.
Dans la salle feutrée de l’Hôtel Boulevard d’Acae, l’atmosphère était électrique ce vendredi 30 mai. Autour du thème « Participation politique des femmes au Gabon : enjeux, défis et perspectives pour les prochaines échéances électorales », une cinquantaine de femmes – élues, militantes, leaders associatives – se sont retrouvées pour un exercice rare dans le paysage politique gabonais : parler vrai sur les obstacles qui freinent encore leur ascension vers les sphères décisionnelles.

L’initiative du Challenge des Femmes Dynamiques, soutenue par le PNUD, avait des airs de thérapie collective. Entre témoignages personnels bouleversants et analyses politiques pointues, les intervenantes ont dressé un portrait sans fard d’un système qui, malgré les avancées législatives, peine encore à faire une place équitable aux femmes.
Quand l’humiliation devient moteur d’engagement
Le ton a été donné d’emblée par Pepecy Ogoulinguende, présidente de Challenge Démocratie au Féminin. Son récit d’une scène vécue à l’Assemblée nationale résonne comme un symbole : un collègue député déplaçant ses affaires et lui ordonnant de s’asseoir ailleurs, au motif qu’elle est « une femme qui aime trop discuter ». Cette anecdote, qui aurait pu rester anecdotique, illustre en réalité la persistance d’une mentalité patriarcale jusque dans les plus hautes instances de la République.

« Cette expérience m’a marquée parce qu’elle traduit une réalité : même dans un cadre censé être paritaire, certains hommes s’attribuent des droits supérieurs », analyse Ogoulinguende. Sa réaction ? Transformer cette humiliation en carburant pour un engagement plus déterminé. « Si tu n’es pas mentalement préparée, tu abandonneras », prévient-elle, s’adressant aux jeunes femmes tentées par l’aventure politique.
Cette approche pragmatique traverse l’ensemble des interventions. Loin des lamentations victimaires, ces femmes politiques assument une posture de combat stratégique. Elles ont compris que les changements ne viendront pas par la simple revendication, mais par l’organisation collective et l’infiltration méthodique des centres de pouvoir.
L’art délicat des « alliances compétitives »
L’une des révélations les plus intéressantes de cette conférence concerne la redéfinition des solidarités féminines en politique. Ogoulinguende l’exprime avec une franchise désarmante : « Nous ne sommes pas obligées de nous aimer, mais pour les causes communes, nous devons être capables de travailler ensemble. Cela s’appelle les alliés compétitifs. »

Cette formule, empruntée au monde des affaires, témoigne d’une maturité politique nouvelle. Exit l’idéalisme de la sororité parfaite, place au réalisme des convergences d’intérêts. Une approche que valide Honorine Nzet Bitegue : « La compétition ne doit pas nous diviser, mais nous pousser à nous dépasser. Dans mes campagnes, j’ai toujours cherché à créer des alliances féminines fortes. »

Cette stratégie d’alliances trouve un écho particulier dans les témoignages des élues présentes. Albertine Maganga Moussavou, forte de son expérience parlementaire, encourage même les candidates à s’affranchir des partis traditionnels : « N’attendez pas toujours l’approbation des partis, si nécessaire, présentez-vous en indépendante. » Un conseil que Haresse Kengue a mis en pratique avec succès lors d’un scrutin local : « Ce fut un défi immense, mais aussi une libération. »
Entre progrès législatifs et réalités du terrain
Le paradoxe gabonais en matière de participation politique féminine est saisissant. D’un côté, un arsenal juridique impressionnant : la loi 9-2016 sur les quotas, les dispositions constitutionnelles garantissant l’égal accès aux mandats électoraux, la ratification d’instruments internationaux… De l’autre, un constat amer dressé par Angélique Ngoma, secrétaire générale du PDG : « Malgré plus de 20 ans d’appel à l’engagement politique des femmes, le taux de représentation des femmes ne fait que baisser. »

Cette contradiction met en lumière un phénomène plus large : l’écart entre les intentions affichées et les pratiques réelles. Sidonie Flore Owoue, présidente de l’ONG Salon de femmes, pointe du doigt les résistances culturelles persistantes : « Même ces hommes qui les utilisent ne savent pas leur rôle », déplore-t-elle, évoquant les femmes réduites à des fonctions de faire-valoir dans les instances mixtes.
L’anecdote qu’elle rapporte – se voir demander d’aller chercher des verres lors d’une réunion politique malgré son statut de seule femme présente – illustre ces micro-violences quotidiennes qui découragent l’engagement féminin. « Cela heurte notre intelligence », résume-t-elle avec justesse.
La question générationnelle : un défi majeur
Un autre défi émerge des débats : l’attraction décroissante de la politique auprès des jeunes femmes. Angélique Ngoma l’admet sans détour : « La vie que nous traversons présentement n’est pas assez exemplaire pour inciter une jeune fille à embrasser une carrière politique. »
Cette lucidité témoigne d’une prise de conscience importante. Ces femmes politiques, qui ont ouvert la voie dans les années 1990 et 2000, constatent que leur parcours n’inspire plus automatiquement les nouvelles générations. La politique, perçue comme un univers hostile et peu gratifiant, peine à attirer les talents féminins qui se dirigent vers d’autres secteurs.

D’où l’insistance sur la formation et le mentorat intergénérationnel. « Rien n’est durable si les générations futures ne sont pas préparées », martèle Sidonie Flore Owoue. Une préoccupation que partage Pepecy Ogoulinguende dans ses conseils pratiques aux jeunes femmes, allant jusqu’à aborder la question du choix du conjoint : « Si le conjoint que vous voulez prendre ne vous accompagne pas déjà à un petit niveau, réfléchissez bien. »
Vers une nouvelle grammaire politique ?
Au-delà des constats, cette conférence a esquissé les contours d’une nouvelle approche de l’engagement politique féminin. Moins idéaliste, plus stratégique, cette génération de femmes politiques mise sur l’efficacité collective plutôt que sur les parcours individuels héroïques.

Marie-Rose Melighe Me Ngwa l’exprime avec une belle formule : « Chaque étape de mon parcours a été un combat. Entre les doutes, les critiques et les rivalités, il faut une force intérieure immense. Mais je crois fermement que les femmes apportent une vision indispensable à la politique. »
Cette « vision indispensable » dont parle l’ancienne députée pourrait bien être la clé du renouvellement politique gabonais. Angélique Ngoma le souligne : les femmes peuvent porter « des messages d’ensemble » et concevoir la politique comme un véritable « service des autres » nécessitant « l’abandon de sa personne ».
L’enjeu des prochaines échéances
À quelques mois des élections locales et législatives, cette mobilisation des femmes politiques prend une dimension particulière. L’objectif affiché par Pepecy Ogoulinguende est clair : « À partir du 27 septembre, [que] la plateforme Challenge et tous les autres réseaux soient fiers de ce que nous ayons un nombre beaucoup plus important de femmes. »
Un pari ambitieux dans un contexte où, comme le rappelle Sidonie Flore Owoue, « lorsque les femmes vont se réveiller, les hommes n’auront plus d’espace ». Cette prédiction, qui pourrait sembler excessive, traduit en réalité une confiance nouvelle dans les capacités d’organisation et de mobilisation des femmes gabonaises.

La conférence de l’Hôtel Boulevard d’Acae restera peut-être dans les annales comme un moment charnière. Non pas celui d’une énième complainte sur les difficultés rencontrées par les femmes en politique, mais celui d’une prise de conscience collective : le changement viendra de l’intérieur, par la structuration de réseaux solides et la formation d’une nouvelle génération de leaders féminines.
Comme le résume admirablement Angélique Ngoma : « Je ne vais pas arrêter sans pour autant tendre la main à l’avenir à celle-là qui peut-être demain feront mieux que moi ou plus que moi. » Une leçon d’humilité et d’optimisme qui pourrait bien redéfinir les contours de la politique gabonaise dans les années à venir.
Cette conférence-débat aura finalement révélé une génération de dirigeantes déterminées à ne plus subir mais à transformer. Reste à savoir si cette effervescence se traduira dans les urnes et, surtout, si elle parviendra à surmonter les résistances structurelles d’un système encore largement masculin. L’avenir politique du Gabon pourrait bien se jouer dans cette équation.
