Lors d’une récente déclaration, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine (UA) depuis 2017, a fermement affirmé que les militaires assurant des transitions ne devraient pas se présenter aux élections. Cette prise de position intervient dans un contexte marqué par plusieurs transitions militaires en Afrique de l’Ouest et Centrale, notamment au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon. Cependant, cette déclaration suscite des interrogations, notamment en raison de la proximité de Faki Mahamat avec le régime militaire du Tchad, son pays d’origine.
Le cas tchadien : un angle mort pour Moussa Faki ?
Le Tchad est un cas particulier qui met en lumière une apparente ambiguïté dans les positions de Faki Mahamat. En avril 2021, à la suite de la mort du président Idriss Déby Itno, son fils Mahamat Idriss Déby a pris le pouvoir, dirigeant le pays sous un Conseil militaire de transition. Le fils Déby a ainsi assuré une transition qui l’a progressivement consolidé comme président, au mépris des standards démocratiques. Mais lors de ce processus, l’Union africaine et son président de commission, Faki Mahamat, n’ont émis que de faibles critiques, préférant appuyer la stabilité d’un régime militaire au lieu de presser pour une transition transparente.
Pourtant, la situation tchadienne n’était pas exempte de critiques, notamment de la part des organisations de défense des droits de l’homme. En effet, le cas du Tchad a montré que le pouvoir militaire peut se pérenniser sous prétexte de transition, favorisant la continuité d’un régime plutôt qu’une véritable transition démocratique.
L’UA face aux transitions militaires en Afrique de l’Ouest
Dans des pays comme le Mali, la Guinée ou le Burkina Faso, l’UA a adopté une posture plus dure en suspendant ces États de ses instances après des coups d’État. Cependant, cette fermeté a ses limites, car les chefs de la transition dans ces pays restent en place, et les pressions de l’UA n’ont pas suffi pour assurer un retour rapide à l’ordre constitutionnel.
Cette apparente sélectivité de Faki Mahamat dans ses critiques soulève des questions. En intervenant pour demander que les militaires s’abstiennent de participer aux élections, il semble jouer la carte de la fermeté, mais cette position semble moins motivée par un principe démocratique que par une stratégie politique. Dans les faits, cette prise de position pourrait s’expliquer par le contexte de l’Afrique de l’Ouest, où les militaires putschistes, comme au Mali, affirment ouvertement leurs ambitions de rester au pouvoir, contrairement à une transition moins ambitieuse de façade au Tchad.
La crédibilité de l’UA en jeu
L’Union africaine a pour mandat de soutenir les États membres dans leurs processus démocratiques. Or, l’historique de l’UA dans la gestion des transitions militaires met en évidence des incohérences, où certains régimes reçoivent davantage de soutien que d’autres. Cette situation affecte la crédibilité de l’organisation, perçue comme ayant des positions ajustées en fonction de la puissance régionale ou de l’influence de ses dirigeants.
En prônant une ligne dure envers certains militaires et en restant silencieux envers d’autres, l’UA risque d’être perçue comme partisane, un danger pour une institution qui se veut au-dessus des influences nationales.
Moussa Faki Mahamat a raison de rappeler les principes d’une transition neutre, mais la mise en œuvre de ces principes, et la cohérence de sa position face aux différents régimes militaires, soulèvent des doutes. Si l’Union africaine souhaite promouvoir la démocratie et dissuader les régimes militaires de s’installer au pouvoir, elle devra clarifier sa position, en adoptant des sanctions et des exigences identiques pour tous les États, sans distinction.
En fin de compte, l’avenir de la démocratie en Afrique dépendra en partie de la capacité des institutions panafricaines à défendre leurs principes avec impartialité.