L’affaire Hervé Patrick Opiangah prend une tournure continentale. L’ancien ministre gabonais des Mines, aujourd’hui en exil forcé depuis quatre mois, a saisi la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) pour dénoncer ce qu’il qualifie de « violentes attaques » de l’État à son encontre. Une procédure qui met en lumière les tensions politiques persistantes au Gabon depuis le coup d’État d’août 2023 et qui soulève des questions sur l’instrumentalisation de la justice.
Une affaire aux allures de règlement politique
Hervé Patrick Opiangah, homme d’affaires influent à la tête d’une entreprise employant 6.500 personnes et président de l’Union pour la Démocratie et l’Intégration Sociale (UDIS), est dans le collimateur des autorités depuis novembre 2023. Officiellement, il est recherché dans le cadre d’une enquête pour « inceste » présumé sur sa fille, Elisabeth. Une accusation que cette dernière a fermement démentie, refusant même de porter plainte malgré les pressions, y compris une garde à vue de plusieurs jours.
Mais pour ses soutiens, cette affaire judiciaire n’est qu’un prétexte. L’ancien ministre, nommé en septembre 2023 dans le premier gouvernement de transition avant d’être limogé deux mois plus tard, serait en réalité victime d’un « harcèlement politique » lié à son opposition au référendum constitutionnel porté par le général Oligui Nguema, chef de la junte au pouvoir.
« C’est une cabale, une forfaiture judiciaire », affirme son parti, dénonçant une descente musclée de forces « lourdement armées et encagoulées » à son domicile dans la nuit du 20 au 21 novembre, « sans mandat ».
Un système judiciaire sous influence ?
Malgré des recours devant la Cour constitutionnelle, la Cour d’appel, le Conseil d’État et même des plaidoyers auprès du parlement et du corps diplomatique, Opiangah n’a obtenu aucune issue favorable. « L’utilisation de l’appareil militaire et policier contre lui empêche toute justice équitable », dénoncent ses avocats, dont Me Marc Bensimhon, connu pour avoir défendu l’opposant béninois Sébastien Avajon.
Cette situation pose une question cruciale : le Gabon post-Bongo est-il en train de reproduire les schémas autoritaires du passé ? La rapidité avec laquelle un ancien ministre de la transition est devenu un proscrit interroge sur l’indépendance des institutions.
La CADHP, dernier recours pour un retour au pays ?
En saisissant la Commission africaine des droits de l’Homme, Opiangah espère obtenir une protection internationale et forcer Libreville à cesser les « persécutions ». Son objectif ? Rentrer « en toute sécurité », protéger sa famille et sauver ses entreprises, aujourd’hui « asphyxiées » par les procédures judiciaires.
Cette affaire dépasse le cadre d’un simple dossier pénal. Elle devient un test pour la nouvelle gouvernance gabonaise : le régime de transition saura-t-il respecter l’État de droit, ou reproduira-t-il les méthodes de l’ère Bongo, où la justice servait trop souvent d’arme politique ?
La réponse viendra peut-être de Banjul, où siège la CADHP. En attendant, le cas Opiangah rappelle une vérité implacable : au Gabon comme ailleurs, les luttes de pouvoir se jouent souvent sur le dos des hommes… et de leurs droits.
