Gabon : Quand la justice joue à cache-cache avec ses propres lois

L’affaire Opiangah révèle les contradictions d’un système judiciaire qui semble appliquer deux poids, deux mesures selon le profil des accusés

 

 

Au Gabon, il y a visiblement plusieurs façons de rendre la justice. Tout dépend, semble-t-il, de qui vous êtes et de la couleur de votre passeport. L’affaire Hervé Patrick Opiangah, leader de l’UDIS, en apporte une illustration saisissante dans une déclaration publique des cadres de l’UDIS ce jeudi 22 mai qui met le doigt là où ça fait mal.

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Une géométrie variable troublante

 

Pendant que Sylvia et Noureddin Bongo s’envolent vers Luanda après leur libération, malgré des accusations de détournement de fonds publics, Hervé Patrick Opiangah reste coincé dans les méandres d’une procédure qui ressemble de plus en plus à un labyrinthe sans issue. Le contraste est si frappant qu’il en devient presque caricatural.

 

D’un côté, le procureur général annonce tranquillement que « le juge d’instruction a clos son dossier » pour les Bongo et qu’il ne reste plus qu’à « fixer la date du procès ». De l’autre, le même système judiciaire refuse obstinément de prononcer un non-lieu dans l’affaire Opiangah, alors même que la supposée victime a nié les faits et porté plainte contre son diffamateur.

 

L’art de compliquer le simple

 

La déclaration de l’UDIS, rédigée dans un style qui mélange respect institutionnel et ironie mordante, soulève des questions embarrassantes. Comment justifier le maintien de poursuites quand il n’y a « ni délit, ni victime, ni charge retenue » ? Comment expliquer que le Président de la Chambre d’accusation invoque l’article 163 du Code de procédure pénale pour refuser un non-lieu, tout en ignorant sa propre jurisprudence ?

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L’opposition gabonaise manie ici l’art de la perplexité feinte avec une certaine maestria. En multipliant les « l’UDIS s’interroge », elle transforme sa déclaration en un véritable réquisitoire contre l’incohérence du système judiciaire, tout en gardant les formes du respect institutionnel.

 

Entre Shakespeare et Kafka

 

« Prenons garde de ne pas verser dans l’odieux qui est la porte de sortie du ridicule », cite l’UDIS en référence à un diplomate gabonais de 1997. La formule est savoureuse et parfaitement appropriée à une situation qui confine effectivement au surréalisme kafkaïen.

 

Car enfin, comment comprendre qu’un système judiciaire refuse de clore un dossier vide tout en libérant des prévenus dans des affaires autrement plus lourdes ? Comment expliquer cette gymnastique juridique qui consiste à maintenir des poursuites contre un homme dont la principale faute semble être d’incarner une opposition politique gênante ?

 

La banque de la justice en faillite ?

 

En citant Martin Luther King Jr. – « l’UDIS refuse de croire que la banque de la justice a fait faillite » – l’opposition gabonaise joue la carte de l’espoir mesuré. Mais derrière cette élégance rhétorique se cache une critique acerbe d’un système qui semble avoir perdu ses repères.

 

L’affaire Opiangah révèle les fragilités d’une justice gabonaise prise entre indépendance proclamée et pressions politiques supposées. Elle pose surtout la question de l’égalité devant la loi dans un pays où les transitions politiques se succèdent mais où certaines pratiques semblent perdurer.

 

Un miroir déformant

 

Au-delà du cas particulier d’Hervé Patrick Opiangah, cette affaire fonctionne comme un révélateur des dysfonctionnements du système judiciaire gabonais. Elle montre comment la justice peut devenir l’otage de considérations qui dépassent le cadre strictement juridique.

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L’UDIS a choisi de mener ce combat sur le terrain du droit, multipliant les références juridiques et les citations de jurisprudence. Une stratégie habile qui transforme une affaire politique en leçon de droit constitutionnel, tout en gardant un ton respectueux qui ne prête pas le flanc à la critique.

 

Reste à savoir si cette démonstration juridique aura plus d’effet que les traditionnelles sorties politiques. Dans un pays où la justice semble naviguer à vue, l’opposition gabonaise a peut-être trouvé la bonne méthode : celle qui consiste à prendre le système au mot de ses propres lois.

 

 

L’avenir dira si cette approche juridique portera ses fruits ou si l’affaire Opiangah rejoindra la longue liste des dossiers qui traînent dans les tiroirs de la justice gabonaise. En attendant, elle aura au moins eu le mérite de poser les bonnes questions sur l’état de droit au Gabon.

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