Annicet Claude Andjouat : L’homme qui veut connecter tout un pays

Dans les couloirs feutrés de son bureau à Libreville, Annicet Claude Andjouat porte sur ses épaules une mission titanesque : faire du Gabon un géant numérique africain d’ici 2030. De retour de Genève où il représentait le pays au Sommet mondial sur la Société de l’information, ce quinquagénaire à la stature imposante et au regard perçant ne cache pas son ambition démesurée. « Le Gabon n’aura besoin de personne d’autre pour se construire que nous-mêmes », lâche-t-il d’une voix posée mais déterminée.

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À la tête de la Direction générale du Développement des Réseaux Numériques depuis sa création en 2022, cet ingénieur de formation dirige une armée d’une centaine de techniciens avec un objectif clair : révolutionner la façon dont les Gabonais vivent, travaillent et communiquent. Loin des promesses creuses habituelles, l’homme déroule méthodiquement sa stratégie, chiffres à l’appui, contacts internationaux en poche.

 

Car c’est bien à Genève que s’est joué l’acte fondateur de cette transformation. Face aux délégations de 193 pays, Andjouat a présenté le Gabon comme « une destination d’investissement numérique fiable, avec un énorme potentiel ». Pas de folklore, pas de discours grandiloquent. Juste des faits : un pays stable politiquement, une économie diversifiée au-delà du pétrole, et surtout une volonté politique affirmée de rattraper son retard technologique.

 

L’homme ne s’embarrasse pas de faux-semblants. « Pour construire une infrastructure numérique, il faut beaucoup d’argent. L’État seul ne suffit pas », reconnaît-il sans détour. Cette franchise brutale tranche avec la langue de bois habituelle des responsables publics. Andjouat assume pleinement la réalité : le Gabon doit lever des fonds massifs pour concrétiser ses ambitions. Et c’est précisément à Genève qu’il a tissé sa toile, multipliant les rendez-vous avec des bailleurs internationaux, des entreprises technologiques et des gouvernements partenaires.

 

L’Estonie, le Rwanda, Singapour, le Bénin, le Sénégal… la liste des pays contactés ressemble à un tour du monde de l’excellence numérique. Chaque rencontre vise un objectif précis : comprendre comment ces nations ont réussi leur transition digitale et adapter leurs modèles aux spécificités gabonaises. « Si un État décide de nous accompagner, ce sera dans un système de partenariat gagnant-gagnant », précise-t-il, excluant d’emblée toute relation de dépendance.

 

Cette approche pragmatique se retrouve dans sa vision de l’intelligence artificielle. Là où beaucoup fantasment ou dramatisent, Andjouat raisonne en ingénieur. « L’IA ne remplacera pas l’homme. Elle viendra l’assister. Mais nous devons la penser en fonction de nos contextes de vie en Afrique », explique-t-il. Une lucidité qui contraste avec les délires technophiles ou technophobes ambiants.

 

Son obsession ? L’éducation numérique dès le plus jeune âge. « Il est crucial d’intégrer les outils numériques dès le plus jeune âge. Si on veut réussir le virage digital, il faut former nos enfants dès le primaire, voire la maternelle », martèle-t-il. Une conviction qui dépasse le simple équipement en tablettes pour embrasser une refonte complète des méthodes pédagogiques.

 

Mais Andjouat n’est pas naïf. Il sait que sa mission dépasse largement le cadre technique. « Une politique publique n’a de valeur que si elle touche réellement le citoyen », philosophe-t-il. Derrière cette formule se cache une vérité dérangeante : trop de projets numériques africains finissent en éléphants blancs, brillants sur le papier mais inutiles au quotidien.

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Pour éviter cet écueil, le directeur général multiplie les consultations avec les acteurs locaux. Sa direction, bientôt rebaptisée Direction générale des Infrastructures Numériques, travaille en étroite collaboration avec l’ANINF pour l’exécution opérationnelle et la SPIN pour la sécurisation des investissements publics. Une approche collégiale qui vise à éviter les doublons et les conflits de compétences.

 

L’homme refuse catégoriquement de cantonner le numérique aux seuls spécialistes. « Le numérique ne concerne pas que les ingénieurs. Chaque Gabonais doit réfléchir à ce qu’il peut apporter à ce pays », lance-t-il comme un appel à la mobilisation générale. Une philosophie inclusive qui rompt avec l’entre-soi technocratique habituel.

 

Cette vision holistique se nourrit des douze grands enjeux débattus à Genève : accès équitable à Internet, cybersécurité, digitalisation des services publics, développement de l’IA africaine, éducation numérique, infrastructures durables, déploiement de la 5G… Un programme fleuve que beaucoup jugeraient irréaliste. Pas Andjouat, qui y voit plutôt une feuille de route cohérente.

 

L’Union internationale des télécommunications, organisatrice du sommet, a d’ailleurs promis un appui technique et un renforcement des capacités pour soutenir cette ambition gabonaise. Un soutien institutionnel qui valide la crédibilité du projet national.

 

Reste que l’homme porte une « lourde responsabilité », comme il le reconnaît lui-même. Transformer un pays de 2,3 millions d’habitants en hub numérique régional relève du défi titanesque. Mais en observant ce quadragénaire déterminé égrener ses projets avec la précision d’un métronome, on se dit que le Gabon a peut-être trouvé l’homme de la situation. Dans six mois, les premiers résultats de cette stratégie seront visibles. Rendez-vous est pris.