Gabon : Quand un Procureur Général transforme une polémique judiciaire en leçon de droit et de dignité

Une mise en liberté provisoire qui fait débat révèle les tensions entre justice africaine et barreaux occidentaux

 

 

Dans le feutré de la salle de conférence du Palais de Justice de Libreville, le Dr Eddy Minang a livré ce mercredi 23 juillet bien plus qu’une simple explication juridique. Face aux journalistes, le Procureur Général près la Cour d’Appel de Libreville a orchestré une magistrale leçon qui dépasse largement le cadre de l’affaire Bongo pour toucher aux fondements même des relations entre justice africaine et barreaux occidentaux.

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 L’étincelle : une libération qui divise

 

Tout commence par une décision judiciaire somme toute classique : la mise en liberté provisoire de Sylvie Marie Aimée Valentin épouse Bongo, ancienne Première Dame du Gabon, et de son fils Noureddin Bongo Valentin. Une mesure prévue par l’article 143 du code de procédure pénale gabonais, qui autorise toute personne en détention préventive à solliciter sa libération « en tout état de cause ».

 

Pourtant, cette décision suscite une vague de critiques, notamment de la part d’un avocat français dont les propos ont visiblement touché dans le mille. Suffisamment en tout cas pour pousser le magistrat gabonais à convoquer la presse et à sortir de sa réserve habituelle.

 

 Quand la pédagogie devient un art de guerre

 

Le Dr Minang ne s’embarrasse pas de circonlocutions. D’emblée, il plante le décor avec une citation biblique qui donne le ton : « La langue des sages fait valoir la connaissance, mais la bouche des sots fait jaillir la folie. » Message reçu cinq sur cinq.

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Sa démonstration s’articule alors en trois temps, comme une symphonie judiciaire parfaitement orchestrée. D’abord, une leçon de droit pénal gabonais, détaillée et précise, qui cloue le bec aux critiques mal informées. « Si ce dernier avait pris la précaution élémentaire d’aller parcourir le code de procédure pénale gabonais comme le ferait même un avocat stagiaire », lance-t-il avec une ironie mordante.

 

 Au-delà du droit, une question de respect

 

Mais le véritable coup de maître du Procureur Général réside dans sa montée en généralité. Car derrière cette affaire particulière se dessine un enjeu plus vaste : celui du respect mutuel entre professionnels du droit, par-delà les frontières et les couleurs de peau.

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Le magistrat gabonais convoque alors les grands noms du barreau français – Vergès, Badinter, Halimi, Dupond-Moretti – pour mieux souligner qu’aucun d’eux ne s’est autorisé de tels écarts de langage à l’endroit de la Justice d’un pays africain ». Une façon élégante de rappeler que la grandeur d’un avocat se mesure aussi à sa capacité à respecter ses confrères magistrats, où qu’ils exercent.

 

 Le complexe post-colonial mis à nu

 

C’est dans son troisième point que le Dr Minang livre le fond de sa pensée. Avec une franchise désarmante, il dénonce « le prétendu complexe de supériorité quasi maladif qu’entretiennent certains occidentaux à l’égard des africains ». Un diagnostic sociologique qui touche juste et qui explique, en filigrane, bien des incompréhensions.

 

L’estocade finale est d’une redoutable efficacité : rappelant que l’avocat critiqué n’est titulaire que d’une maîtrise quand lui-même a soutenu sa thèse de doctorat avec « mention très honorable avec félicitations du jury » dans la même université parisienne, il renverse magistralement la donne. « Au regard des grades et diplômes universitaires, cet avocat est et restera sûrement mon étudiant. »

 

Une leçon qui dépasse le Gabon

 

Cette conférence de presse révèle en creux un phénomène plus large : l’émergence d’une justice africaine qui refuse désormais d’être tutoyée par ses homologues occidentaux. Le Dr Minang incarne cette nouvelle génération de magistrats africains, formés dans les meilleures universités, maîtrisant parfaitement les codes juridiques internationaux, mais refusant tout complexe d’infériorité.

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Sa proposition finale – encadrer pédagogiquement l’avocat français « s’il le souhaite » – constitue un pied de nez savoureux qui inverse les rôles traditionnels. Voilà bien longtemps qu’un magistrat africain n’avait pas retourné avec autant d’élégance les rapports de force habituels.

 

Épilogue d’une affaire révélatrice

 

Au-delà de l’affaire Bongo et de ses implications politiques, cette sortie du Procureur Général gabonais marque peut-être un tournant dans les relations entre justices africaines et occidentales. En refusant le statut de faire-valoir et en revendiquant une égalité de traitement fondée sur la compétence plutôt que sur les préjugés, le Dr Minang dessine les contours d’une justice africaine assumée et fière.

 

Reste à savoir si cette leçon de dignité juridique sera entendue au-delà des frontières gabonaises. Dans un monde où les rapports de force évoluent, cette conférence de presse pourrait bien faire école. Et transformer une simple polémique judiciaire en symbole d’une Afrique qui ne se laisse plus dicter sa conduite.

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