UDB : Quand les « héros » du changement recyclent les vieilles recettes

Le spectacle est saisissant. À quatre jours du scrutin législatif et local gabonais, les mêmes visages qui promettaient hier une rupture avec l’ancien système orchestrent aujourd’hui une vaste opération de transfert d’électeurs qui ferait rougir les caciques de l’ère Bongo. Cette transhumance électorale, dénoncée de Libreville aux provinces les plus reculées, révèle une vérité cruelle : au Gabon, seuls les costumes changent, jamais les méthodes.

Car il faut appeler les choses par leur nom. Cette « déportation » d’électeurs vers des circonscriptions stratégiques n’est ni un accident, ni le fruit d’initiatives isolées. C’est une stratégie délibérée, minutieusement planifiée, qui transforme le droit de vote en monnaie d’échange et les citoyens en pions sur l’échiquier politique. Quand certaines zones voient leurs listes électorales bondir de plus de 30 % en quelques mois, on ne parle plus d’engouement démocratique mais de manipulation industrielle.

L’ironie est mordante. Ces mêmes candidats qui se drapaient dans l’étendard du renouveau, qui juraient leurs grands dieux qu’ils incarnaient la nouvelle République de Brice Clotaire Oligui Nguema, reproduisent aujourd’hui avec un cynisme décomplexé les pratiques qu’ils dénonçaient naguère. Pire encore, ils le font en violation flagrante d’une loi électorale qu’ils connaissent parfaitement, défiant ouvertement un président qui avait pourtant mis les points sur les i.

Cette dérive pose une question fondamentale : peut-on encore croire aux promesses de changement quand les prétendants au pouvoir trichent avant même d’avoir gagné ? Le message envoyé est d’une clarté implacable : pour ces candidats, la fin justifie tous les moyens, y compris les plus répréhensibles. Ils préfèrent risquer l’annulation de leur élection plutôt que d’affronter loyalement le verdict des urnes.

Le plus troublant dans cette affaire, c’est la facilité déconcertante avec laquelle ces manœuvres semblent s’être déployées. Comment expliquer qu’en quelques semaines, des centaines d’électeurs aient pu être transférés d’une circonscription à l’autre sans que les autorités compétentes ne s’en aperçoivent ? Cette organisation millimétrée révèle l’existence de réseaux structurés, capables de contourner les garde-fous institutionnels avec une efficacité redoutable.

Au-delà de la violation pure et simple du Code électoral, c’est toute la philosophie du nouveau régime qui se trouve éclaboussée par ces révélations. Oligui Nguema avait promis une rupture avec les pratiques clientélistes et frauduleuses de ses prédécesseurs. Force est de constater que certains de ses soutiens présumés n’ont manifestement pas reçu le mémo. Ou pire, ils l’ont délibérément ignoré.

Car derrière ces transferts d’électeurs se cache une logique implacable : celle de candidats qui doutent de leur capacité à convaincre et préfèrent truquer plutôt que d’argumenter. Cette absence de confiance en leur propre programme politique en dit long sur la qualité de leur projet pour le Gabon. Si leurs idées étaient si séduisantes, auraient-ils besoin de recourir à de tels subterfuges ?

Le paradoxe est saisissant. Alors que le pays aspire à une modernisation de ses institutions et à une moralisation de sa vie politique, certains acteurs s’enlisent dans les ornières du passé. Ils hypothèquent ainsi non seulement leur propre avenir politique, mais également la crédibilité de l’ensemble du processus démocratique gabonais.

L’heure du choix a sonné pour les nouvelles autorités. Leur réaction face à ces dérives conditionnera l’avenir de la démocratie gabonaise. Car au-delà des sanctions prévues par la loi, c’est un signal politique majeur qui doit être envoyé : dans la cinquième République, la tricherie n’est plus un sport national mais un crime contre la démocratie.

Les électeurs gabonais méritent mieux que ces manigances d’un autre âge. Ils méritent des candidats qui respectent les règles du jeu démocratique et qui ont suffisamment confiance en leurs convictions pour accepter le verdict populaire, quel qu’il soit. Faute de quoi, le changement tant promis ne sera qu’une nouvelle imposture dans l’histoire politique gabonaise.