Gabon: un collectif des sages appelle la France à arrêter le scrutin présidentiel du 26 août

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Discours du porte-parole du Collectif des Sages et dignitaires du Gabon, M Makaya

Une délégation des Sages, notables et dignitaires du Gabon s’est rendue ce jeudi devant la base militaire française au camp de général de Gaule sis à Alibandeng, dans le 1er arrondissement de Libreville. Objectif : appelé les représentations diplomatiques accréditées au Gabon et de la Communauté internationale particulièrement la France d’appeler à Ali Bongo Ondimba à ne pas organiser l’élection présidentielle prévue ce 26 août 2023.

« Cette interpellation s’inscrit dans le registre de la campagne citoyenne de sensibilisation que nous avons initiés le 16 juin 2023 en donnant une conférence de presse à la Chambre de Commerce de Libreville, et que nous poursuivons inlassablement afin de conjurer l’implosion du pays qui se profile à l’horizon, et dont les signes avant-coureurs ne cessent de s’étaler aux yeux de tous », a indiqué M Makaya Moukagni, le porte-parole de circonstance, représentant le collectif.

Et d’ajouter que: « Nous sommes inquiets, et profondément préoccupés par la situation politique que traverse notre pays. Nous n’avons de cesse de répéter que le pays n’est pas prêt pour des élections apaisées, et que le scrutin présidentiel prévu se tenir le 26 août prochain va se solder, comme tous les précédents, par une crise post-électorale meurtrière qui, cette fois, va embraser le Gabon, va durablement affecter sa stabilité et partant, la stabilité de toute la sous-région d’Afrique centrale ».

 

Les sages et notables affirment qu’aller aux élections maintenant, c’est jouer avec le feu. Pour eux, les tensions dans le pays sont trop vives, les frustrations trop exacerbées. Le Gabon est en ébullition, en situation pré insurrectionnelle. La proclamation demain, comme par le passé, de résultats sans rapport avec le choix souverain du peuple, risque d’être l’étincelle qui embrasera le pays. La sagesse commande de sursoir à un scrutin qui mettra le Gabon à feu et à sang. En lieu et place d’une élection présidentielle à haut risque pour notre pays, la solution de sagesse et d’amour pour le Gabon et son peuple commande de marquer une pause, qui prendra la forme d’une transition politique pacifique ».

 

La démarche de ce Collectif se veut citoyenne.  » Nous ne prônons pas, et n’avons jamais prôné, un boycott des élections. Nous disons qu’il faut pour le moment surseoir à celles-ci, parce que le fonctionnement actuel des institutions, de même que le climat politique et social, ne permettent pas l’organisation d’élections transparentes, crédibles et apaisées, seule gage de préservation de la paix sociale au lendemain du vote ».

 

Analysant la situation politique et sociale du Gabon, les sages estiment que « le Gabon est un pays malade, en crise multisectorielle au triple plan politique, économique et sociale. Au plan politique, le monde entier sait qu’Ali Bongo Ondimba s’est imposé par la violence à la dernière élection présidentielle du 27 août 2016 en attaquant à l’arme lourde le quartier général de Jean Ping, le véritable vainqueur du scrutin. À cette occasion, plusieurs centaines de jeunes Gabonais ont été massacrés. Leur seul crime était d’exiger, mains nues, le respect de leur vote. La tuerie s’est opérée à deux jets de pierre du Camp de Gaulle, base militaire française du 6ème Bataillon d’Infanterie de Marine (BIMA) à Libreville. Mais les troupes françaises n’ont pas jugé utile d’intervenir pour arrêter la boucherie. L’histoire a retenu que c’est bien Jean Ping qui a remporté l’écrasante majorité des suffrages avec 68% des voix, Ali Bongo n’en recueillant que 31% », indique t-il.

 

Il faut rappeler que le résultat de cette élection calamiteuse a été la fronde généralisée, sociale et politique, qui perdure à ce jour, parce que les autorités en place sont perçues comme illégitimes.

Les Gabonais sont d’autant plus exaspérés qu’ils ont le sentiment que leur pays est pris en otage par ceux que d’aucuns appellent « la légion étrangère ». En effet, depuis l’accession au pouvoir de Monsieur Ali Bongo Ondimba, on observe l’occupation, par des gabonais d’adoption, de tous les postes stratégiques à la Présidence et dans l’administration publique, les cas les plus emblématiques étant ceux de Maixent ACROMBESSI NKANI et Brice LACCRUCHE ALIHANGA, qui furent tous deux directeurs de Cabinet du Président de la République. Mais les exemples sont multiples et nourrissent le ressentiment des gabonais de souche, qui se sentent dépossédés de leur pays, d’autant plus que la « légion étrangère » se rend impunément coupable de détournements massifs de fonds publics quand le commun des Gabonais croupit sous la misère et une précarité toujours plus profonde.

 

Au plan économique, la dette publique du Gabon est estimée à 74,7 % du PIB en 2021, et malgré un PIB par habitant qui se chiffre à 8 017 dollars en 2022 (soit 5,4 millions FCFA), le développement du pays est à la peine, le chômage criard et la précarité des populations galopante. Les détournements des deniers publics par les hauts fonctionnaires de l’Etat se chiffrent en milliards, au détriment du Trésor public. Tous les indicateurs économiques du pays sont au rouge, et la jeunesse du Gabon ne supporte plus que l’extrême pauvreté touche plus de 60% de la population du pays quand ses incommensurables richesses pourraient garantir à tous ses ressortissants d’excellentes conditions de vie, à l’exemple des Dubaïotes. Elle trouve de plus en plus intolérable ce paradoxe d’un Gabon immensément riche, mais dont la population est chaque jour plus appauvrie au bénéfice d’une minorité.

 

Au plan social, jusqu’à cette heure, les revendications et les grèves sont légion, émanant des retraités qui restent des mois sans percevoir leur pension, des fonctionnaires du secteur de la santé, de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de l’économie, de l’environnement, etc. (rares sont les secteurs qui ne sont pas touchés), tous réclamant notamment la revalorisation des salaires face à l’inflation des denrées alimentaires de première nécessité, et de meilleures conditions de travail.

 

L’insécurité est aggravée, marquée par la multiplicité des crimes de tous ordres, notamment les crimes de sang dit crimes rituels dont les auteurs jouissent de complicité au plus haut sommet de l’Etat, d’où le règne de l’impunité.

 

Excellences messieurs les diplomates, et autres éminents représentants de la Communauté internationale,

 

Voilà ce qu’est le Gabon, au moment où les autorités en place veulent y organiser des élections générales, dont l’élection présidentielle.

 

Edifiés par des décennies d’expérience d’une réalité implacable, les Gabonais sont convaincus que dès à présent, tout est verrouillé pour qu’encore une fois, le véritable vainqueur du scrutin présidentiel soit écarté au bénéfice de celui que l’Elysée, donc la France dirigeante, aura décidé de porter à la tête du pays.

 

Et à moins d’être aveugle ou de refuser de confronter la réalité, il faut bien reconnaitre que les actes posés jusqu’ici par les institutions en charge de gérer les élections sont en contradiction totale avec les standards internationaux admis en matière d’élections dans les pays dit démocratiques, et qui fondent un Etat de droit.

 

 » Ces actes, nous voulons brièvement les rappeler :

 

1) Le rejet par le pouvoir de toutes les propositions de la société civile pour des élections transparentes et crédibles ;

 

2) le non-respect du temps requis pour les enrôlements, qui a eu pour conséquence d’empêcher des centaines de partisans du changement de s’inscrire sur les listes électorales, ce qui ampute d’ores et déjà l’opposition d’une partie de son électorat ;

 

3) la publication tardive de la liste provisoire des électeurs, qui a rendu impossible le respect du temps légal prévu pour le traitement des réclamations, compte tenu du calendrier adopté par le Centre Gabonais des Elections ;

 

4) l’absence de distribution des cartes d’électeurs et des pièces d’identité nationales par l’administration en charge de les confectionner, ce qui conduit inéluctablement à une élection où il sera impossible d’identifier avec certitude les votants ;

 

5) la modification de certaines dispositions du code électoral, alors que le processus est déjà engagé, ce qui est une violation flagrante de la loi fondamentale ;

 

6) l’augmentation du collège électoral à 1,2 million de personnes, alors qu’il n’était que de 600 000 en 2016, ce qui fait peser de lourds soupçons d’inscription massive et frauduleuse d’étrangers ayant pour consigne de voter pour Ali Bongo Ondimba ;

 

7) l’adoption par le gouvernement d’un bulletin unique pour l’élection du président de la République et des députés, décrié par l’ensemble de la société civile et la quasi majorité des partis politiques parce que violant le principe de séparation des pouvoirs et le droit des électeurs au libre choix de leurs élus.

 

Pour l’immense majorité des Gabonais, les organes de gestion des élections que sont le Centre Gabonais des Elections, le Ministère de l’intérieur et la Cour constitutionnelle, ne sont pas neutres, dans la mesure où ils sont tous dirigés par des cadres du PDG ayant pour unique objectif la conservation du pouvoir par leur camp. Comme eux-mêmes ont coutume de le dire : « on n’organise pas des élections pour les perdre ».

 

La défiance et la colère des Gabonais envers ces institutions sont ainsi à leur comble. Et une grande partie du peuple, en particulier les jeunes, est bien décidée cette fois à imposer le respect de son vote, quel que soit le prix à payer. Aller aux élections dans ces conditions est purement suicidaire.

Le Gabon est un pays membre des nations unies, dont la Charte stipule, que :

« Nous, peuples des nations unies, résolus :

·      à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,

·      à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,

·      à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,

·      à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande » Fin de citation.

 

C’est sur le fondement de cette Charte, dont le Gabon est signataire, que nous, Sages, Notables et Dignitaires de la Nation gabonaise, interpellons la communauté internationale. Pour nous, elle ne peut pas rester indifférente dans la circonstance présente.

 

Conformément à l’esprit de la Charte des nations unies, l’ensemble des diplomates et autres éminents représentants de la Communauté internationale au Gabon, doit œuvrer à préserver la paix dans le pays et pour cela, comprendre la nécessité d’une Transition politique pacifique et œuvrer à ce que celle-ci voit le jour, sachant que tout le monde sera comptable de la tragédie qui pourrait emporter le pays demain.

 

Ainsi, devant Dieu et devant les Hommes, chacun aura fait sa part pour que les lendemains au Gabon ne soient pas porteurs de regrets et de désenchantement pour tous ».

Une bouteille sable a été déposé à l’entrée du camp de Gaule en guise d’avertissement à la caution

que pourrait apporter la France aux autorités de Libreville.

Franck Charly Mandoukou

Directeur de la publication, Journaliste libre et indépendant. Gabon infos,Toute l'information du Gabon. Les dernières actus, la politique, l'économie, la société, la culture, la justice, les faits divers...